Le confinement, « des effets durables sur nos vies »

Presse Océan a publié le lundi 28 décembre 2020 un entretien avec le sociologue Tristan Poullaouec, dans lequel celui-ci détaille un certain nombre de résultats de la première vague de l’enquête Vico. Avec la permission du quotidien, nous vous proposons de découvrir ci-dessous cet article réservé aux abonné.es (disponible ici sur le site du journal)… Bonne lecture !

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INTERVIEW.  Le sociologue nantais Tristan Poullaouec s’est penché sur nos vies, nos pratiques, nos lassitudes en période de confinement. Avec des observations parfois étonnantes.

Presse Océan: Le confinement restera un événement marquant dans l’histoire de notre société française ?
Tristan Poullaouec : « Il n’a laissé personne indifférent. On manque encore de recul et il faut être prudent dans les analyses mais il a déjà bouleversé nos vies. Il a changé beaucoup de choses dans notre rapport aux autres, au travail, aux déplacements, aux voyages, jusque dans la façon de gouverner puisque, pour reprendre un slogan, « nos vies valent plus que leurs profits ». Et il va avoir des conséquences durables ».

Vous avez mené une enquête sur le sujet, sur une grande échelle…
« Nous avons rejoint une initiative lancée par des sociologues grenoblois et toulousains : un questionnaire en ligne sur la vie sociale confinée qui a, en quelques semaines, recueilli plus de 16000 réponses. Nous avons bien senti l’envie de prendre la parole, de témoigner ».

Qu’est-ce que nous avons eu le plus de mal à supporter ?
« Il y a eu le fait de ne pas pouvoir rencontrer ses proches, ses amis. Mais nous avons aussi eu beaucoup de remarques spontanées sur l’état sanitaire, les attestations de sortie, la continuité pédagogique, les problèmes de vie conjugale ou familiale. On note une appropriation assez facile du port du masque. En revanche, le second confinement est beaucoup plus triste que le premier : il n’y a plus d’applaudissements pour les soignants, d’affichage de messages aux fenêtres… »

Les Nantais, comme les Français, ont plutôt bien respecté toutes les règles imposées ?
« Globalement, oui, les règles ont été respectées. Mais notre travail met en évidence des données intéressantes. 92 % des gens remplissaient leur attestation de sortie mais, en affinant les questions, on a constaté qu’il y a ceux qui sortaient un peu plus loin que le kilomètre autour de chez eux, ou un peu plus qu’une heure, ceux qui multipliaient les petites sorties par jour, ceux qui avaient sur eux plusieurs attestations avec des heures différentes… Finalement, beaucoup ont un peu triché avec les règles pour les rendre tout simplement vivables ».

Dans cette crise, les jeunes ont souvent été accusés d’être plus transgressifs…
« Ce n’est pas ce que démontre notre enquête : le confinement a été terrible à vivre pour les plus âgées éloignés de leurs proches. Ce sont par exemple les retraités qui ont le plus outrepassé les limites de l’attestation de sortie. Ils avaient plus besoin de sortir que les plus jeunes qui travaillent et pouvaient ainsi bouger ».

Votre enquête le prouve aussi : des catégories socioprofessionnelles ont plus de mal avec les contraintes…
« Les travailleurs indépendants, les artisans, les commerçants, les agriculteurs, les plus précaires aussi, les demandeurs d’emploi et les travailleurs intérimaires notamment, ont eu plus tendance à s’affranchir des règles, oui. De même que les gens les plus à gauche, comme ceux les plus à droite : ils refusent visiblement les règles imposées par un pouvoir qui ne leur convient pas. Ce sont les mêmes qui signent les pétitions, qui font la grève ou manifestent ».

Mais dans l’ensemble, les mesures prises ont été bien acceptées et comprises par les Français ?
« Si les règles du confinement sont plutôt respectées, ces contraintes ne sont pas pour autant comprises. Et l’on voit bien que la situation ne pourra pas durer longtemps. Je suis même surpris qu’il n’y ait pas plus de contestations. La gestion de la crise a été ‟descendante” : les mesures décrétées ont été pensées par des médecins ou des spécialistes, dans des bureaux confinés, et imposées par le gouvernement, via les forces de police et de gendarmerie. Mais le gouvernement n’a pas pris le temps d’expliquer, d’autant plus avec toutes les polémiques : la population n’a pas été ‟formée” ».

C’est l’une des leçons à tirer pour l’avenir ?
« Sans aucun doute. Il faudrait plus associer les acteurs de la société civile, informer et se concerter avant de décider. Cela pourrait permettre de trouver des solutions localement, pour éviter d’en arriver à des face-à-face qui peuvent être dangereux pour la démocratie. Apprendre à vivre avec le virus devrait induire, outre des changements de comportement individuel, de nouvelles façons de vivre et décider ensemble ».

Pierre-Marie Hériaud

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